Le Feng Shui et la ville chinoise
Introduction
Le taoïsme est une recherche d’adaptation au rythme de l’univers, tout être vivant y participant. Ce qui signifie pour l’urbanisme que l’homme ne doit pas être réduit à sa dimension apparente mais considéré dans la globalité de son essence.
Cette philosophie ne divise pas l’homme en corps et âme, mais il est une continuation du « chi » ou « qi », qui est l’énergie. L’être humain y est décrit comme un microcosme, le « xing » essence du ciel et de la terre. Ces trois éléments (le ciel, la terre et l’homme) créant ensemble toutes les choses.
Le taoïsme véhicule aussi plusieurs concepts philosophiques, notamment le ying et le yang, formant le principe d’harmonie universelle ; wou-weï, principe de contention, de renoncement de son ego ; et le feng-shui, principe d’harmonisation de l’énergie de favorisation du bien-être et de la santé
La notion de Feng Shui
Les principes Feng Shui doivent être plus considérés comme une sagesse que comme une religion ou une philosophie. Ils s’appuient sur quelques principes fondamentaux ; un flux permanent d’énergie s’écoule du ciel vers la terre et rend les transformations possibles ; le macrocosme et le microcosme se correspondent ; les lieux les plus propices sont ceux qui ont la montagne dans le dos et la vue sur les eaux. Ces derniers ont durant des millénaires, dicté l’implantation, l’orientation des villes chinoises, ceci jusqu’à la première moitié du 20ème siècle.
L’application du Feng Shui a demandé à l’homme une connaissance précise de son environnement . C’est ainsi que la culture chinoise a développé l’exploration du monde et de la nature. Ce furent notamment les premiers à développer la boussole magnétique « Luo Pan », objet composé de cercles concentriques donnant certaines informations complémentaires par rapport à l’orientation indiquée.
A cette boussole, s’ajoute le « Ba Gua », un ensemble composé de huit trigrammes exprimant la cosmologie traditionnelle. Il permet de connaître les forces en jeu et leur contraire, chaque direction ayant sa propre signification. Par exemple au ciel s’oppose la terre, à l’eau le feu et le symbole ying/yang de l’harmonie les rassemble. Ce qui signifie ainsi que chaque élément appartient au même ensemble.
Etant donné que l’étude de toutes les techniques traditionnelles chinoises utilisées dans l’application des principes Feng Shui mériterait un travail plus approfondi, je me limiterais à deux éléments significatifs. Les exemples suivants illustrent le fait que par des procédés basés sur la tradition, les concepteurs de ville chinois avaient la possibilité de connaître en fonction de l’orientation qu’ils souhaitaient donner à la ville, les implications qu’avaient leurs choix quant au feng shui.
Le Feng Shui dans la maison traditionnelle chinoise
La maison traditionnelle que l’on nomme «Siheyuan» à Pékin et dans le nord de la Chine ou «Minju» en Chine centrale répond à des critères Feng Shui au niveau de son implantation et de son organisation spatiale. Cet habitat traditionnel, toujours composé d’un plan identique, possède une cour centrale encadrée par quatre espaces, un hall d’entrée principal orienté au sud, deux ailes et un hall opposé orienté au nord. L’intérieur et l’extérieur sont nettement séparés par un mur d’enceinte. La disposition des pièces et leur fonction permet un confort optimal des habitants et répond à un code précis qui s’inscrit dans l’organisation sociale de la société Han, chaque membre de la famille trouvant sa place selon sa hiérarchie.
Carré magique « Luoshu »
Le carré sert de schéma de base à l’ordonnance et à l’organisation de la ville royale de Chengzhou, capitale de la dynastie Chang. Cette forme de base enserrant la ville se subdivise en 3 parties égales, définissant un carré parfait dit Luoshu dont le centre, cœur du système, est occupé par un temple. Chaque case correspond à un élément (1=l’eau, 2=la terre,…). Le carré Luoshu est encore utilisé de nos jours pour déterminer les flux énergétiques d’une habitation. Les dimensions de la ville étaient réglées selon la mesure chinoise « li », mesure ayant évoluée selon les époques mais toujours prise en considération dans la conception Feng Shui des villes traditionnelles. Chengzhou correspond exactement à un carré de 9 li de côté comprenant 81 villages, chacun longs d’un li
Le carré est le symbole de la terre, il peut être inscrite dans un cercle. Le cercle représentant le ciel. Ce qui met en évidence la conception selon laquelle l’homme, la terre et le ciel entretiennent des relations très étroites. L’emplacement a été choisi de manière à avoir une colline au nord et une rivière au sud. Ce principe a été par la suite étendu à une échelle régionale.
L’évolution du Feng Shui en Chine communiste-Les Danwei
La Chine communiste issue de la révultion de 1949, chercha à se défaire des traditions ancestrales et mit en avant un nouvel ordre social basé sur l’égalité des classes. Désormais les villes devaient refléter l’idéologie communiste notamment le principe d’économie planifiée. Ainsi les villes de part leur standardisation mettaient en avant l’absence de classes dans la population chinoise.
L’administration communiste développa les Danwei, entreprises d’état dans lesquelles les citoyens pouvaient vivre, s’amuser, travailler. Elles organisaient la vie sociale et privée des individus qui les composaient. Mais il est intéressant d’observer que les Danwei ne faisaient pas complètement abstraction de la tradition chinoise et des principes Feng Shui. En effet, elles étaient entourées d’un mur d’enceinte définissant une limite entre l’espace public et l’entreprise, reprenant le principe de la maison traditionnelle Siheyuan et donc le thème de l’espace clos présent dans la tradition chinoise. Les Danwei sont également des ensembles composés d’entités distinctes et des dispositifs introvertis recherchant une autonomie par rapport au monde extérieur, tout comme la ville impériale de Chengzhou ou la maison Siheyuan. C’est uniquement le groupe social qui diffère, à la place de la relation familiale ou Roi-sujet. Le gouvernement communiste developpa une relation d’égalité théorique entre les hommes dérivant en un rapport de domination oligarchique des gouvernants sur les gouvernés. Ce schéma social de contrôle des dominés se retrouve dans chacun de trois exemples développés plus hauts.
La chine et l’ouverture économique
Dès 1978, le nouvel homme fort de la Chine, Deng Xiaoping, ouvra son pays au monde extérieur. Il érigea le développement économique comme principe absolu, marquant donc à nouveau une rupture nette avec la politique de son prédécesseur. Les villes devant être le moteur de cette croissance, elles devaient donc une nouvelle fois être le reflet d’une idéologie. Il fallait à présent favoriser une croissance sans obstacle, sans prise en compte des traditions de planification urbaine. Ceci marqua l’émergence d’un rapport décomplexé au monde. Durant cette période même si les autorités ne prenaient plus en compte les principes Feng Shui, le peuple chinois y resta attaché.
Le cas de Hong Kong
Si l’on prend l’exemple de Hong Kong, on peut observer que les notions Feng Shui, sont encore très présentes puisque la majorité des habitations les prennent en compte. Au niveau de l’implantation de la ville, c’est également le cas, avec le mont Victoria au nord et la mer au sud. Le célèbre architecte Norman Foster fait mention de l’attention portée à ces principes dans son projet pour la tour HSBC. Ces exemples montrent bien que le Feng Shui est encore aujourd’hui un élément essentiel de la culture chinoise contemporaine.
La chine contemporaine
De nos jours, la dynamique des transformations urbaines chinoises se fait sur trois plans : réforme économique, globalisation, migrations.
Après une période de croissance économique effrénée, les autorités chinoises conscientes des enjeux sociaux, économiques et écologiques auxquelles elles sont confrontées, cherchent un développement plus harmonieux. Après une époque qui cherchait à se défaire des traditions ancestrales, les principes taoïstes et notamment le Feng Shui devrait à l’avenir reprendre une place déterminante dans le développement de la Chine.
De part la réduction des temps de parcours, l’amélioration des moyens de communication et le développement économique, on assiste à l’émergence des métropoles chinoises sur le plan mondial avec notamment l’organisation de grands événements internationaux (Jeux olympiques de Pékin en 2008, Exposition Internationale de Shanghaï en 2010) Ce phénomène de globalisation engendre une compétition de plus en plus accrue entre les grandes métropoles mondiales, ceci dans le but de gagner en notoriété et donc d’attirer des investissements, notamment en Chine, les villes de Pékin, Hong Kong, Shanghaï et Canton prennent part à ce mouvement. Mais depuis quelques années, on assiste à une meilleure considération des traditions locales avec notamment l’émergence de la notion « glocal », contraction de global et local. Le sociologue Manuel Castels parle lui de « nœud de valeur ». Dans cette évolution, les valeurs traditionnelles chinoises telles que le Feng Shui retrouvent la place qui leur sont dues et permettent ainsi à la Chine de se développer économiquement tout en mettant en avant sa riche culture.
Les phénomènes de migrations représentent aussi un enjeu considérable car la croissance urbaine chinoise est en grande partie due à ces migrants quittant les campagnes à la recherche d’une hypothétique prospérité en ville. L’intégration de ces nouveaux arrivants va représenter un défi majeur dans les années à venir et dans la poursuite de cet objectif les notions de Feng Shui, notamment d’harmonie entre l’homme et la nature peuvent jouer un rôle décisif.
Conclusion
Selon Karl Fingerhuth, « Chaque époque ayant ses propres caractéristiques, il en résulte une forme urbaine différente, appropriée aux besoins de l’époque ».
Etant donné que notre époque change, que la Chine après vingt années de croissance économique soutenue, cherche à maîtriser son développement, car les problèmes écologiques et sociaux sont de plus en plus criants, il est légitime de s’interroger sur le développement que suivront les villes chinoise. Je suis personellement convaincu que les notions Feng Shui sont une possibilité unique d’engendrer un développement harmonieux. Mon avis consisterait à dire que ces valeurs doivent être vues comme un atout, permettant de relever certains défis, car elles véhiculent le fruit de plusieurs millénaires d’observations et de réflexions sur l’homme, son fonctionnement, son environnement.Notamment par rapport aux graves problèmes écologiques auxquels sont confrontés la Chine. Le Feng Shui offre une voie possible, intégrée et conscientisée par le peuple chinois, car faisant partie intégrante de sa culture.
Bibliographie
-Carl Fingerhuth « L’enseignement de la Chine »
-Toshiro Inaji «The Garden as Architecture: Form and Spirit in the Gardens of Japan, China and Korea », Kodansha International
-Béatrice Ferrari, Cours ENAC-EPFL «Urbanisme en Asie»
-Lam Kam Chuen « Le manuel de Feng Shui » Le Courrier du Livre
-Manuel Castells « L’ère de l’information », Paris, éditions Fayard
http://www.fosterandpartners.com/projects/0501/default.aspx
http://leml.asu.edu/jingle/Web_Pages/Wu_Pubs/PDF_Files/Hong_etal_2006_Fengshui.pdf