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L'essence du lieu

 

 

"L'orientation unique de son parcellaire constitue la principale caractéristique du paysage de Saint-Fortunat, par ailleurs mité par les constructions pavillonnaires. Les grands murs séparatifs d'anciennes carrières structurent le territoire en un réseau de chemins parallèles. Le projet s'inscrit dans cette logique de site par l'édification d'un haut mur de pierre parallèle au parcellaire, bordé d'un chemin. Les matériaux utilisés reprennent la tonalité des carrières du secteur : béton brut teinté avec agrégats des monts d'Or (coffrage planchettes), bois naturel (kapur), toitures plantées (sédums)” Revue D’architecture, No 204, 11/2011

 

 

Ce projet représentant deux ans de travail, est la première œuvre de l'architecte français Clément Vergély, alors âgé de 31 ans, de plus il l'a dessiné entièrement seul. L'intervention se distingue par une attention particulière au site et à son contexte proche. L’utilisation de la figure des murs séparatifs des parcelles structurant le territoire comme parti architectural est incontestablement une stratégie pertinente et sensible. D'autant plus adaptée qu'elle représente un moteur projectuel solide pour l'architecte dans un environnement rural, faiblement bâti. Elle permet d'inscrire l'intervention dans le site à l'image d'une nouvelle couche bâtie se confrontant aux anciennes traces humaines, tout en laissant une place aux prochaines. 

 

L'application du thème du mur a permis à l'auteur de proposer une architecture cohérente ainsi que des espaces de qualité. Ce principe du mur a généré des espaces extérieurs mais principalement une articulation de deux volumes, avec une partie destinée à l'habitation et une autre plus technique comprenant garage, piscine et abri jardin. Le concept est également repris pour une structure composée de voiles en béton parallèles définissant des espaces intérieurs, il est est ici porteur de richesse spatiale. Ce choix a été orienté par le résultat d'une lecture territoriale attentive donc d'un intérêt porté envers le site. Cependant l'architecte procède a une subtile réinterprétation de la matière sans tomber dans le mimétisme. Aux murs de pierre prennent place des murs en béton aux marques de coffrage expressives et aux agrégats en pierre locale.

 

Dans notre époque marquée par une production architecturale  dominée par l'éclectisme et conduisant à une perte de lisibilité de la production architecturale prise dans son ensemble, l'attention  portée au contexte tend à s'affaiblir. Cependant ce projet renverse cette tendance car il se nourrit et vit de la morphologie vernaculaire du territoire tout en proposant un langage contemporain. 

 

Durant des siècles, les architectes ont eu pour contraintes d'utiliser les matériaux et les techniques locales ainsi que les qualités intrinsèques du site qui leur était à disposition. Cela a cependant bien évolué de nos jours où les capacités techniques et constructives se sont considérablement améliorées et diversifiées. De plus, les grilles de composition et de conception de  l'architecture évoluent et se complexifient, redéfinissant le rôle et la fonction de l'architecte. Dans ce contexte, il est tout à fait possible de s'extraire des contraintes du lieu pour proposer un langage décontextualisé, internationalisé s'offrant parfois au formalisme ambiant. Cette tendance exprime un système de valeur différent de celui des constructions préexistantes. Dès lors, que signifie ce geste de se positionner en opposition à la décontextualisation pour rechercher un contact simple et générateur de projet dans le "genius loci" ?

 

La démarche proposée dans cette intervention peut être associée à une forme de respect pour la construction du lieu. Tout site à une histoire à raconter, il s'agit pour le protagoniste de la faire émerger. Mettre en évidence l'existant garantit la possibilité d'assurer la pérennité de l'intervention. Car un site ne se démode pas. Un site se construit à une échelle de temps sur laquelle l'homme n'a que peu de maîtrise. Cette notion de temps s'impose à tout un chacun en nous rappellant avec force que nous sommes que peu de chose face à elle. La recherche de la continuité envers un territoire peut donc se comparer à de l’humilité envers la notion de temps. Il est intéressant d'observer que Clément Vergély a effectué un autre projet dans ce village de Saint-Didier du Mont d'Or, on peut y voit un intérêt spécifique pour ce territoire est le début une intervention dans la durée à l'image du travail de Luigi Snozzi à Monte Carasso. En effet, ce dernier est intervenu durant environ trente années dans ce village tessinois pour y mener différentes interventions de tailles et d’échelles différentes modifiant ainsi durablement l’image du lieu.

 

Ce projet présenté par ces lignes défend une position selon laquelle une autre voie est possible en opposition à l'architecture du "moi", symbolisée par la starisation de l'architecture et l'importance donnée à l'objet. Elle se propose de révéler le lieu et de mettre en avant sa spécificité, mais pour cela son auteur doit accepter de se découvrir. 

 

Se découvrir c’est dans ce cas accepter de mettre ses a prioris de côté, de se laisser imprégner par un territoire et les trésors que l’on peut y découvrir. Cette démarche est synonyme de remise en question permettant  ainsi à l'architecte  de s'interroger. Se poser des  questions c'est se mettre dans une posture de doute, un doute qui n'est pas une fin en soi mais plus un début. Comme disait le Professeur Berger à ses étudiants, le projet d'architecture naît de la confrontation fructueuse entre une idée, un matériau et une forme. Ces trois éléments étant présents, il est ici enrichi par la posture dubitative de son auteur qui révèle l’essence du lieu. Le projet d'architecture s'adapte au site mais subtilement, par opposition, il l'adapte. C'est par une recherche d'équilibre entre l'objet et son contexte que ceux-ci parviennent à dialoguer et s'enrichir mutuellement. Par la finesse de l'insertion de l'intervention et l'affirmation d'une expression contemporaine ainsi que d'une maîtrise de la matière, de la construction et des espaces, on observe ici un équilibre réussi. Car l’exemple ici étudié nous prouve que ce retour à l’essence du lieu peut se faire en adoptant un langage architectural contemporain, en phase avec son temps et sans démarche passéiste.

 

Cette intervention peut être interprétée comme une recherche  réussie entre contemporanéité et patrimoine. Elle offre un message clair et courageux selon lequel la voie entre l'architecture qui crie et celle du silence existe et mérite d'être défendue. L'architecte du projet nous en offre ici un bel exemple.

 

 

Références:

 

-www.vergelyarchitectes.com

-Revue D’architecture, No 204, 11/2011

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Villa à Saint-Fortunat, Saint-Dizier au Mont d'Or

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Villa à Saint-Fortunat, Saint-Dizier au Mont d'Or

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Coupe transversale

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Plan rez-de-chaussée

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