Hannes Meyer et le projet pour le concours de la Peterschule à Bâle:
Après avoir débuté sa carrière en Suisse, Meyer va la poursuivre durant quelques années dans la capitale allemande. Ville qui à la suite de la fin de la Première Guerre Mondiale connue une activité artistique florissante. A la même époque, l’enseignement des arts et également de l’architecture aura l’occasion se redéfinir avec la création de l’école du Bauhaus. Ecole qui parvint à réunir de grands prota-gonistes de l’Avant-Garde artistique européenne de ce début de 20ème siècle. Son fondateur et premier direc-teur Walter Gropius rechercha rapidement à mettre en place un enseignement progressiste conciliant les arts avec les caractéristiques sociales de l’époque, et donc notamment le thème de l’industrialisation de la société. Mais il est nécessaire de se tourner vers l’est pour bien comprendre les raisons qui motivèrent Gropius à développer ce nouveau type d’enseignement. En effet, la Russie, de par les événements politiques qu’elle traversât à partir de la Révolution d’octobre en 1917, se retrouva au centre d’une activité artistique in-tense, dont le but était de définir comment l’art pouvait représenter de la meilleure manière l’idéologique soviétique.
Les artistes soviétiques se tournèrent rapidement vers le «constructivisme», mouvement artis-tique ayant pour but de révéler la beauté de la machine, de l’objet industriel ceci en passant de la com-position à la construction d’espaces ou de surfaces. C’est avec le « Manifeste réaliste » écrit en 1920, que les artistes Naum Gabo et son frère Antoine Pevsner, définissèrent avec précision le constructivisme. Selon l’historien de l’art Jean-Claude Marcadé, la création de l’école du Bauhaus à Weimar en 1919 constitua un facteur d’encouragement pour les artistes communistes en Russie soviétique ce qui permit une impulsion décisive dans la fondation par Chagall de l’école Ounovis à Vitebsk et de l’Inkhouk de Kandinsky. Mais la pédago-gie développée au Bauhaus fut surtout appliquée dans les Ateliers Supérieurs d’Art et de Technique moscovites appelés Vkhoutémas. Le but du programme de cette école était de redéfinir la fonction dévolue à l’art dans la société socialiste et de repenser la formation artistique. Dans une lettre datée de 1920, Gropius constate avec satisfaction les orientations artistiques prises par ses collègues soviétiques. Mais l’influence se fit également sen-tir avec d’autres personnalités et notamment le peintre hongrois Laszlo Moholy-Nagy, avec lequel les principes constructivistes trouvèrent écho au Bauhaus. Gropius écrit en 1923 « Art et technique, une unité nouvelle ! ».
En avril 1922, El Lissitzky fonde à Berlin la revue Internationale « Rundschau der Kunst der Gegenwart », la revue avait pour but de faire le lien entre les artistes d’avant-garde soviétiques et allemands. Les liens entre ces deux pays étaient à cette époque, très forts. En effet, après le traité de Rapallo, la république de Wei-mar et l’Union Soviétique reprirent leurs relations diplomatiques rompues à la suite de la Première Guerre Mondiale. Berlin comptait alors environ 200’000 résidents russes en 1922 et cette communauté transforma le visage de la ville. L’arrivée de l’artiste El Lissitzky en 1921 à Berlin, jouera un rôle déterminant dans les liens artistiques entre ces deux pays. Il est une figure centrale du mouvement constructiviste soviétique, il donna de nombreuses conférences au Bauhaus, mais il retourna enseigner au Vkhoutémas à partir de 1925.
Ces premières expériences débouchèrent sur la Première Exposition d’Art russe à la galerie Van Diemen en 1922 à Berlin. Cette exposition suscita un grand intérêt car elle confrontait pour la première fois le public de l’Europe de l’Ouest aux travaux des avant-gardistes soviétiques.
L’artiste Naum Gabo y exposa sa Construction cinétique, première sculpture ne pouvant qu’être perçue opti-quement par son mouvement, il écrivit sur cette œuvre « Nous renions dans la sculpture, la masse en tant qu’élément sculptural, nous proclamons dans les arts plastiques un élément neuf, les rythmes cinétiques». A la suite de cette exposition, Moholy Nagy utilisa certaines œuvres de Gabo comme modèle pour ses étu-diants, signe de l’influence déterminante de cette exposition.
El Lissitzky écrivit un texte du nom évocateur de « Roue-propulseur de ce qui s’ensuit », dans lequel il prophé-tisait que l’architecture suspendue était l’aboutissement du développement architectural moderne. Il précise qu’il existe dans l’évolution de l’architecture un processus qui vise à la constante réduction de l’aire occupée par les fondations. Pour ce faire, il conçoit un pôle archaïque et dépassé, représenté par l’archétype des pyramides et un autre, encore à définir au sein de l’architecture du futur, qui doit pouvoir tenir sur une tête d’épingle. Il inventa alors le terme de « Wolkenbügel » (fer à repasser les nuages) pour définir cette notion. Au tour de l’artiste constructiviste russe Alexander Rodtchenko, de préciser : « l’architecture de l’avenir sera surtout une construction en hauteur ». L’attention de l’architecture sera tournée vers le haut, avec des tours d’une construction particulière, légère comme des ponts avec toutes sortes de passerelles et de surplombs. Dans la même foulée, Paul Klee, alors enseignant au Bauhaus, critique « l’ingénieurisme » excessif des constructivistes russes et produit en 1923 la toile intitulée « Maison dans les hauteurs » dans laquelle on peut y percevoir une pointe d’ironie.
A la même époque, El Lisstzky développe les « Proun », mot issu du russe pro unovis, signifiant « projet pour l’affirmation du nouveau ». Il souhaitait développer une nouvelle discipline située entre l’architecture et la peinture, le plus bel exemple de cette volonté est le Prounenraum, espace appliquant ces théories. Cette démarche s’inscrit dans un cadre plus large, cherchant à définir un style international et objectif, participant à la définition d’une nouvelle pensée architecturale principalement issue de la peinture, appelée « la nouvelle objectivité ». Selon l’historien de l’art allemand Hartlaub, « La nouvelle objectivité allait devenir à partir de 1924, l’étiquette du nouveau réalisme teintée de socialisme, montrant un grand enthousiasme pour la réa-lité immédiate, qui résulte de la prise en compte des choses de manière totalement objective sur une base matérielle».
C’est dans ce contexte artistique qu’El Lissitzky est contraint dès 1923 de se rendre à Zürich afin de se faire soigner de la tuberculose. Son ami l’architecte hollandais Mart Stam qu’il a rencontré à Berlin, l’accompagna, et ils rencontrèrent d’autres artistes et architectes notamment Emil Roth, Hans Schmidt, Hannes Meyer et Hans Wittwer, personnalités partageant les mêmes préoccupations qu’eux comme la conception de bâti-ments socialement responsables et conformes à des principes scientifiques issus du constructivisme. 1924 fut une année décisive, car ils fondèrent ensemble le groupe ABC et notamment la revue « ABC : Beiträge zum Bauen ». Cette revue permit de faire connaître les vues de ses artistes engagés. Ils rejetaient la construction massive exprimée par l’équation « construction x poids = monumentalité ». Le projet de la Peterschule à Bâle de Hannes Meyer et de l’ingénieur Hans Wittwer, peut être considéré comme un projet manifeste de la pen-sée constructiviste et fonctionnaliste portée par les membres du groupe ABC. Meyer et Wittwer rendèrent le concours pour la Peterschule en novembre 1926, mais les architectes s’esti-mèrent déçus, car les demandes de la ville de Bâle n’étaient pas claires et le programme trop important pour la parcelle.
Au début du concours, Gropius et Moholy Nagy leur avaient écrits une lettre les priant de faire de ce projet une œuvre manifeste des théories actuellement développées au Bauhaus, ce qu’ils firent dans une certaine mesure. Ils développèrent les thèses fonctionnalistes et notamment le thème de la lumière naturelle de façon très rigoureuse. Par exemple, ils orientèrent les salles de classe à l’est en positionnant cette façade avec un dégagement maximal par rapport au bâti existant, ceci permettant un ensoleillement optimal durant les heures de cours du matin. Aussi, la salle de gymnastique du rez-de-chaussée reçoit de la lumière des deux côtés du bâtiment. Ces solutions se définissant selon les auteurs comme les meilleurs « compromis ». Ce terme « compromis » fut repris plusieurs fois et devint le titre du projet. Le thème de la fonctionnalité fut très approfondi, par exemple les espaces de circulation ne sont pas de simples couloirs mais accueillent diverses activités répondant aux besoins des utilisateurs. Au niveau de la volumétrie, le projet se distingue par un premier volume en béton armé s’étendant sur sept étages et deux plateformes suspendues par quatre câbles métalliques au volume principal. Ce dispositif permet une filiation claire avec les théories développées par El Lisstzky et les constructivistes russes, avec les projets de constructions suspendues ou de ponts. Notamment le projet pour un restaurant suspendu Simbirtchev conçu dans les ateliers de l’école Vkhoutémas. Meyer proclamera à la suite de ce concours « Bauen hat aufgehört eine Sache der Kunst zu sein » ou encore « Bauen hat begonnen seine besten Kräfte aus der produktiven Arbeit der Technik zu ziehen ». Ce projet est le résultat d’un processus constructif, en effet, les membres du groupe ABC plaçaient au premier plan non pas l’archi-tecture mais plutôt la construction et le fonctionnalisme. Des questions essentielles sur la perception archi-tecturale se posent par rapport à ce projet. Est-ce la forme ou la fonction qui est l’élément essentiel ? Meyer dit à ce sujet « Formerfindung als Ergebnis von Gesetzen ». Ce serait donc la fonction et elle seule qui domi-nerait les autres thèmes. Mais dans une deuxième lecture, on peut voir un symbolisme latent qui cohabite avec ce fonctionnalisme extrême, s’expliquant par les positions sociales très engagées que défendit Meyer et qui débouchèrent sur son engagement politique. Le groupe ABC défendait une approche objective de la construction fondée sur la volonté de ne servir que les besoins collectifs. Positions que Meyer développa dans deux écrits « die neue Welt » et « Bauen ». Il est désormais possible de parler de fonctionnalisme humain est de mettre le projet suivant pour le concours du palais de la Société des Nations effectué en collaboration également avec Hans Wittwer, dans la continuité du concours de la Petersschule.
Ce n’est pas le projet de Meyer et Wittwer qui fut retenu, le jury se tourna vers un projet bien plus tradition-nel. Mais par rapport à leur projet, il est également intéressant d’aborder le thème de la représentation. En effet, ils choisirent pour leur planche de concours un graphisme épuré, sans perspective exprimant un point de vue humain, sans informations superflues, sans retranscription d’ambiance, un rendu technique, expri-mant leur parti de fonctionnalité. Elément également intéressant est la typographie, qui est celle développée au Bauhaus par Bayer et Joost, sans empattements et surtout majuscules, en opposition à la typographie gothique jugée réactionnaire encore utilisée à cette époque. Pour conclure cette analyse, je tiens à noter que Meyer signe la planche « architekt hannes meyer basel/bauhaus-dessau », ce qui exprime selon moi la proxi-mité qu’il existe entre ce projet et les théories développées à cette époque au Bauhaus de Dessau. Meyer assumant de ce fait une double filiation, celle obtenue de son père également architecte, correspondant à la première période de son activité et l’autre, plus récente, venant de la fréquentation d’autres artistes et archi-tectes de l’école du Bauhaus et du groupe ABC.
Hannes Meyer devint d’abord professeur du département d’architecture en 1927, département qu’il nomma par le titre révélateur de « Construction » puis il devint directeur du Bauhaus en avril 1928 ceci jusqu’en 1930. Bien qu’il s’opposât à la politisation de l’institution, la montée de l’extrême-droite le contraint à démissionner. A la suite de cet événement, il s’en alla en URSS, à la poursuite de ses idéaux….
Bibliographie
- Kenneth Frampton « L’Architecture moderne », Thames & Hudson
- Martin Kieren «Hannes Meyer, Architekt », Verlag Arthur Niggli
- Claude Schnaidt « Hannes Meyer, Bauten, Projekte und Schriften », Verlag Arthur Niggli
- Sophie Lissitzky-Küppers «El Lissitzky», Thames & Hudson
- Roberto Gargiani « Histoire de l’architecture moderne, Structure et revêtement », PPUR
- Hannes Meyer «die neue Welt»
- Michael Hays « Modernisme and the posthumanist subject», The MIT Press
- ABC: Beiträge zum Bauen 1924-28, Reprint, Verlag Lars Müller
- Hannes Meyer, Beiträge zum 100. Geburtstag 1989, Schriften der Hochschule für Architektur und Bauwesen Weimar
- Regine Bonnefoit «Le Bauhaus et la Russie» dans le livre «La Russie et l’Occident», éditions Viella


Villa à Saint-Fortunat, Saint-Dizier au Mont d'Or
Vladimir Tatline-projet pour un Monument à la Troisième Internationale
Projet icône du mouvement «constructiviste», symbole de la nouvelle modernité.

Hannes Meyer

Concours pour la Peterschule à Bâle, Vue perspective

Concours pour la Peterschule à Bâle, plan
crédits: www.vergelyarchitectes.com

Concours pour la Peterschule à Bâle, façade