Créer pour mieux détruire
Le parcours singulier de l'architecte berlinois Erich Mendelsohn
C'est dans le plus grand secret que dans le désert de l'Utah dans la zone d'essai militaire de Dugway, durant l'année 1943, ont été constitués des villages allemands et japonais par la compagnie Standard Oil. Ce projet a constitué l'un des grands projets de la politique du New Deal américain, soit la destruction par le feu des villes japonaises et allemandes[1]. Dans le désert américain, l'armée américaine a proposé une reconstruction à l'identique de tous les aspects de la construction et de la conception de quartiers entiers. Le village allemand a finalement été réalisé en 44 jours, dans les temps pour les premières expérimentations prévues par l'armée en mai 1943[2] afin de développer des armes de destructions massives pouvant être utilisées contre des cibles civiles en Allemagne.
Le plus surprenant est que ce soit le célèbre architecte Erich Mendelsohn, recruté secrètement au début de l'année 1943, qui ait organisé et supervisé ces constructions. En effet, ce dernier demeure un des plus grands architectes modernes allemands, on compte notamment dans ses œuvres les bureaux du Berliner Tagblatt, la Columbushaus, le complexe Woga sur le Kurfürstendamm et la tour Einstein à Postdam. Mendelsohn, juif allemand né en Prusse Orientale, fuit l'Allemagne avec l'arrivée des Nazis au pouvoir en 1933. Il aura par cette entreprise directement participé à la construction et à la destruction de la capitale allemande. Bien qu'il n'ait laissé aucune note ou commentaire à ce sujet, il est difficile de ne pas y voir une forme de revanche de sa part envers son pays d'orgine.
Cette histoire soulève de nombreuses questions quant à la destruction durant la Seconde Guerre Mondiale des villes allemandes, japonaises mais aussi fraçaises avec les bombardements du Havre, Royan, Lorient, Brest et autres villes victimes d'une stratégie à l'efficacité pour le moins discutable. Alors que les frappes ce concentraient sur les quartiers ouvriers de Berlin, la stratégie délibérée des alliés était de détruire le moral du peuple allemand mais se portait principalement sur les banlieues populaires "rouges" qui avaient été des lieux de résistance au nazisme. Peut-on y voir ici une stratégie d'anticipation de réduire en cendre les potentiels foyers communistes anticipant la futur guerre froide ? Tandis que pour les forces alliées, la destruction des villes de l'Axe représentait une arme de terreur afin de faire plier l'ennemi de l'intérieur, pour les dignitaires nazis, la destruction des villes représentait l'avènement d'un monde nouveau dans lequel seuls les meilleurs auraient survécus à la guerre soit un exercice d'eugénisme total. Ces derniers ayant également largement utilisé le bombardement comme arme de terreur.
D'un côté comme de l'autre, la destruction de villes entières a été durant cette période une arme puissante. Bien qu'elle ne soit pas nouvelle, César ayant rasé Carthage jusqu'au sol, cette échelle de destruction n'avait alors été jamais atteinte et poses de nombreuses questions quant à la significations et aux objectifs d'une telle stratégie. Il est également intéressant d'observer le parcours de reconstruction qu'ont suivi ces villes dans la période de l'après-guerre. Tandis que certaines ont reconstruit à l'identique la ville d'antan, d'autres ont laissé des traces volontaires de ces destructions aériennes, Gedächtniskirche à Berlin, Kolumba Museum à Cologne. Comme un rappel indélébile ou un témoignage pour les générations futures d'un passé douloureux qui force à ne pas oublier la tragédie que fut cette guerre.
[1] M. Davis, Dead Cities (2002), p. 5
[2] J. Glancey, Goodbye Berlin (2003)

Columbushaus, Erich Mendelsohn, Berlin 1933

Columbushaus, Erich Mendelsohn, Berlin 1945