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L'éloquence des murs

1. Route de Chaindon, Reconvilier

Une ample architecture villageoise, fréquente dans la région, avec sa toiture en croupe et ses volets de bois rougeâtres, côtoie ici deux réalisations bien plus contemporaines. Intercalée à celles-ci, une villa individuelle parfaitement conventionnelle tente d'exister ; sa vue dégagée semble pour le moins menacée. Qui sait dans combien de temps la dernière parcelle d'herbe accueillera un nouveau volume bâti.

Cette disposition rapprochée d'époques et de styles si hétéroclites a le mérite de susciter une interrogation sur la construction des bâtiments et son évolution jusqu’à notre époque contemporaine. L'architecture considérée comme commune du début du 20e siècle (ou de la fin du 19e) était constituée de détails et d'attentions dessinés et exécutés par des artisans. Celle-ci a progressivement laissé la place à une standardisation des nouveaux édifices parallèlement à l'industrialisation des processus.

Dans une perpétuelle logique de compression des coûts de la construction, les exigences économiques imposent aux réalisations architecturales actuelles une réduction des délais de constructions, une standardisation des détails constructifs et des matériaux mis en œuvre ainsi qu'une banalisation des formes et des typologies architecturales.

Avec la fin du mouvement architectural dit post-moderniste serions-nous entrés dans celui de l'architecture fade, sans spécificités ni ambition autre que de répondre à une fonction donnée par un besoin qu'un investisseur a évalué intéressant et profitable. A l'image d'une soupe sans sel, l'architecture est-elle est train de perdre ses saveurs ?

 

2. Rue Francillon, St-Imier

Cette longue rue commerçante avec cette lumière de fin de journée, ses enseignes lumineuses et surtout cette absence de toute forme de vie humaine exprime une ambiance intemporelle et mystérieuse. Mais c’est avant tout son l’impressionnante perspective, dont on distingue à peine la fin, qui donne son caractère à l’image.

Lorsque de part et d’autre de la rue s’érigent des bâtiments contigus de même hauteur, alors une fascinante forme urbaine apparaît. Et Saint-Imier en est un excellent exemple. Par ce principe la régularité de l’orientation des rues et l’horizontalité du village se voient renforcées.

Souvent comparée à sa grande sœur La Chaux-de-Fonds, la cité imérienne garde ses spécificités. Malgré trois incendies en 1839, 1843 et 1856, tel un phénix, elle renaîtra de ses cendres par un plan régulier en damier. S’agrandissant considérablement suite à l’essor de l’industrie horlogère et l’accroissement démographique inhérent, elle développera un caractère urbain dès le milieu du XIXe siècle.

 

 

3. Rte Bellelay/Route Principale, Le Fuet (Saicourt)

Tant illuminée par la lune que par les candélabres en bord de route et mise en évidence par le virage en épingle qui l'enserre, cette école de village resplendit, évoquant l'importance et l'histoire de la scolarisation. De nombreuses fenêtres aux généreuses dimensions, une toiture en croupe et des clochetons portant souvent une horloge sont des éléments caractéristiques de cette architecture scolaire. Ce petit clocher, monumental et fantaisiste sur cette image, est un élément symbolique, il proclame le triomphe de la mesure du temps. Les bâtiments scolaires sont également positionnés au centre des villages, accessibles et visibles par tout un chacun.

En 1831, l'État de Berne instaure l'école laïque publique et obligatoire, à charge des communes de financer les bâtiments et les salaires des instituteurs. Dès lors, chaque commune a vu fleurir sur son sol son bâtiment scolaire. Jusqu'à la fin du 19e siècle, les classes, souvent mixtes, comprenaient en moyenne 50 à 60, voire 80 élèves.

 

4. Tour de Moron 

Deux dates, 21 mai et 22 juin 2022, résonnent comme deux coups de tonnerre dans l'existence de la célèbre Tour de Moron. Ces deux événements qui ont vu l'effondrement d'un grand nombre de marches de ce monument, ont porté un coup terrible à cette structure de 30 mètres de haut, conçue par l'architecte tessinois Mario Botta. Inaugurée en 2004, elle a nécessité l'implication de 600 apprentis maçons venus à 1380m réaliser ce qui allait devenir pendant pas moins de 18 ans un emblème pour toute la région.

Derrière tous ces chiffres se cache l'impermanence de l'architecture. Car si l'acte de construire est essentiel à notre société en tant que démonstration de développement et d'adaptation à l'évolution des besoins, la destruction de bâtiments provoquée volontairement ou comme dans ce cas par les forces de la nature porte un sentiment rassurant de savoir qu'une œuvre bâtie porte en elle sa fin. La reconstruction prévue de la Tour de Moron lui permettra de renaître et de resplendir à nouveau sur la région.

 

5. La Brise, Envers des Convers 87, 2616 Renan

Ce qui semble à première vue être une simple cheminée dans une habitation rurale représente en fait un élément très spécifique de l'architecture régionale appelée faux-manteau. Celui-ci délimite un espace dans lequel il est possible de profiter de la chaleur dégagée par le foyer. De nombreux détails participent également à enrichir cette forme d'alcôve dans un espace clos. On peut mettre en évidence le chapiteau de la colonne au premier plan, représentant un ordre toscan et un linteau taillé dans un bloc calcaire, synonymes de raffinement pour cette partie de logement.

Principalement présents dans la partie occidentale du district de Courtelary et remontant pour la plupart au 18e siècle, ces espaces si particuliers reflètent une époque faste dans le développement de cette région avec une influence exercée par les montagnes neuchâteloises, toutes proches.

 

6. Le Chicago, rue Centrale, Moutier

En raison de sa hauteur, le nom de cette célèbre ville nord-américaine, symbole de modernité, a été attribué à cet emblématique bâtiment de la cité prévôtoise, construit par l'architecte Charles Kleiber père à la fin du 19e siècle. Le Chicago était alors le bâtiment le plus imposant de la commune. Avec sa position stratégique au croisement de la rue de la Prévôté et de la rue Centrale, par ses dimensions ainsi que par la richesse des ornementations et matériaux utilisés, il représentait la force du développement commercial alors à l'œuvre. Sa majestueuse toiture, avec sa teinte et sa géométrie, se distingue de celle des bâtiments voisins.

Plate, à deux ou quatre pans, en croupe ou à pavillon : ainsi se décritt bien la diversité de toitures sur cette image. Bien souvent qualifiée de cinquième façade, la toiture voit son apparence liée au type de couverture choisi. Tuiles pour les toitures à pans, végétation pour les toitures plates plus contemporaines, les bardeaux de bois rappellent quant à eux des techniques de couverture appartenant à un lointain passé. Tous ces éléments nous renvoient à la fonction première de toute architecture qui est de protéger des intempéries, plus généralement de l'environnement extérieur.

 

7. Temple de Sornetan

Cet élégant petit temple protestant, assis sur une colline surplombant le Petit-Val, qui s'étend de Bellelay à Moutier, est un édifice important du patrimoine bâti régional. La position particulière de cette construction religieuse a d'ailleurs donné son nom au village le plus proche, Sornetan, nom issu du latin Sornedunum, à proximité du cours d'eau, la Sorne et dunum signifiant sur la colline.

Son édification remonte à 1708. Rénovée en 1965 par Charles Kleiber et Hans von Fischer, cet édifice religieux est en forme de salle, plan typique des églises réformées. Elle est surmontée d’un clocher à bulbe, ce qui constitue une rareté. Les églises de Sornetan et Bévilard sont marquées en cela par l’influence de l'architecte baroque autrichien Franz Beer, constructeur de l'abbaye de Bellelay et de ses clochers, détruits lors du rattachement de la région à la France.

 

8. Collège de Reconvilier

Ce collège, caractérisé par ses proportions massives, sa toiture imposante et sa construction faite de détails soignés, demeure un bâtiment emblématique au cœur du village et rappelle l'époque fastueuse de l'avènement de l'industrialisation au début du 20e siècle.

Son architecture demeure une belle illustration du Heimatstil, courant architectural dans lequel s’inscrivent de nombreuses constructions scolaires de la région. Réalisé par le bureau d’architectes Renck & Vuilleumier, auquel on doit également les collèges de Tavannes, de Courtelary et de Malleray, l'édifice sera inauguré en 1913. Ce quartier dédié à l'éducation est complété par l'école secondaire signée par l'architecte Charles Kleiber en 1957. Cet ensemble d’une grande qualité figure au recensement ISOS et mérite une grande attention quant aux développements futurs.

Au premier plan s’étend le champ de foire, accueillant chaque année au mois de septembre, la célèbre foire agricole de Chaindon. Les pieux en ciment régulièrement espacés servent à attacher les bestiaux.

 

 

9. Les Oeuches, Diesse

Cette station transformatrice d'électricité située sur le Plateau de Diesse possède d'harmonieuses proportions volumétriques. Ce qui aurait pu n'être qu'une banale construction couvrant une installation technique a reçu cependant une attention particulière. On y découvre deux petits volumes rappelant vaguement une forme de chapelle, chacun couvert par des toitures en tuiles légèrement courbées à leurs extrémités. Les portes et fenêtres sont entourées d'encadrements en pierre. Bien que destinée à un programme uniquement technique, cette architecture est des plus soignées.

L’architecture de ce bâtiment fonctionnel ne correspond pas à la forme que nos références mentales connaissent pour une telle infrastructure. Une école, une mairie, une villa, une église, une gare… chaque affectation nous renvoie à une forme architecturale et à une certaine organisation des espaces. Les constructions s'écartant de cette relation forme/fonction trouvent leur signification dans leur originalité et leur singularité. Notre attention se porte avec curiosité et sympathie sur cet objet énigmatique, sorte d'ovni en dehors de toute temporalité, magnificence d'une architecture technique ou l'importance du détail s'inscrit en règle d'or. Cette construction a été réalisée lors des premiers développements du réseau électrique dans la région à la fin du 19e siècle. Il est d'ailleurs intéressant de préciser que Cormoret, dans le Jura bernois, a été la première commune suisse éclairée par l'électricité en 1885.

Allez à Comoret

Là vous y trouverez

Des filles à marier

Et l'électricité

(Journal d'Ulysse Robert)

 

 

10. Tavannes, rue du Pierre-Pertuis 20 

Cette cuisine a ceci d’extraordinaire qu’elle a gardé la plupart de ses aménagements d’origine. Sa voûte noircie par la fumée qui jouait jadis le rôle de séchoir, son sol en dalles calcaires, un évier encastré dans l'épaisseur du mur sous la fenêtre, une ouverture faisant usage de cheminée et son cendrier au-dessus. La cuisine voûtée constitue une spécificité de l'architecture rurale de l'ancien Évêché de Bâle, particulièrement au nord de Pierre-Pertuis. La seule invraisemblance sur ce cliché est la cheminée de gauche, qui est un ajout récent

Ces éléments permettent de décrire la manière et l'ambiance dans laquelle vivaient les premiers occupants de cette maison paysanne à pignons latéraux dont la construction date de 1820. Cette cuisine est d'autant plus importante qu'elle joue le rôle d'espace distributif, permettant l'accès aux autres pièces du logement.

 

 

11. Le Bindit, 2720 Corgémont

Par ce temps froid et brumeux, nous devinons à peine quelques ouvertures présentes sur cette ferme, nous rappelant que le rude climat auquel sont soumises ces constructions demande avant tout de se protéger de l'environnement extérieur par des murs épais.

Cette typologie de ferme dite à pignon frontal est très représentative de l'habitat paysan régional. L'usage d'une structure composée de pierres calcaires recouvertes d'un enduit à la chaux, implique cette teinte claire et unitaire. Elle supporte une charpente en bois recouverte historiquement de bardeaux. On peut l'identifier par ses proportions horizontales en accord avec le paysage. Son ample toiture permet de recueillir l'eau nécessaire pour ses habitants et le bétail, vivants à l’écart de tout cours d’eau.

La façade principale est orientée de préférence vers le sud afin de profiter de l'ensoleillement et de se protéger des vents dominants. Les rares fermes isolées s'écartant de cette orientation sont estampillées du terrible terme de maltournées. Architectures ayant résisté à l'épreuve du temps, ces habitations paysannes représentent une richesse patrimoniale exceptionnelle.

 

 

12. Les Moulins de Tavannes

L'ancien moulin de la Doux a disparu : les rationnels et modernes moulins de Tavannes le remplacent. La poésie cède à l'industrie. Tant pis, mais tant mieux.

Bulletin de l'Association pour la défense des intérêts du Jura, 9 septembre 1952.

Jusqu’au 19e siècle, l’eau a été la principale source d’énergie. Elle a permis depuis des temps reculés de faire tourner plusieurs roues de moulins dans les environs immédiats de la source. Avant leur forme actuelle, les moulins de Tavannes ont été rénovés, agrandis, reconstruits pour laisser place à un procédé industriel de traitement des différents grains. Inutilisée, cette imposante structure se cherche actuellement une seconde vie qui lui permettrait de pérenniser sa présence dans le paysage tavannois.

 

 

 

13. Rue de la Paix 17, Tramelan

La plus intéressante définition du mot éloquence est la suivante, Qualité de ce qui (sans paroles) est expressif (Le Robert). Un mur, élément de construction privé de toute parole possède donc dans sa sémantique une qualité d'expression, ce qui demeure un pouvoir sans commune mesure.

Véritables murs porteurs de bâtiment composés le plus souvent de 3 à 5 étages, la plupart du temps réalisés parallèlement à la pente, en maçonnerie crépie, de couleurs claires et percées d'ouvertures dans une proportion ou le plein domine le vide, le mur massif en maçonnerie crépie est une composante essentielle dans le patrimoine architectural régional. Historiquement, ces murs n'étaient que très rarement isolés par un matériau spécifique (laine de roche/verre, paille), mais l'épaisseur généreuse des murs du fait de leur inertie thermique jouait le rôle d'isolant et de protection contre les intempéries et les températures hivernales.

A l'heure actuelle, de plus en plus de propriétaires souhaitant améliorer l'isolation de leur bâtiment se tournent vers une isolation  par l'extérieur par rapport à une isolation par l'intérieur plus onéreuse et difficile à mettre en œuvre. Le doublage par un matériau isolant de ces façades si caractéristiques est bien souvent problématique car leur aspect même s’en voit considérablement modifié et dénaturé. Il convient donc d'étudier et de privilégier des solutions complémentaires comme le remplacement des vitrages, la rénovation des toitures et l'isolation intérieure afin de répondre à la délicate équation de la sauvegarde du patrimoine et du respect des engagements de protection du climat.

 

 

14. Grand-Rue 29, Renan

Ces espaces extérieurs, que l'on nommait historiquement aisances, définissent un premier périmètre qui est destiné à des activités récréatives de loisirs et de détente tandis que la zone en contrebas sur cette image est encore de nos jours un jardin potager, ce qui était la fonction originelle de ce jardin. Des murs de soutènement en blocs de calcaire soigneusement taillés délimitent cet espace et lui permettent d'offrir une topographie plate. Ces barrières ou murs permettaient à l'époque d'empêcher le bétail de pénétrer dans les parcelles aménagées. Comme on le voit sur l'image, ces espaces ont été passablement rongés par le développement routier et la construction de garages couverts. On peut aisément notifier le caractère hétéroclite et peu harmonieux de ces constructions dans l'ensemble bâti villageois.

Les  jardins familiaux sont un élément majeur du patrimoine immatériel jurassien bernois. Ceux-ci allaient jadis jusqu’au pied de la bâtisse et constituaient des apports non négligeables à l’approvisionnement en nourriture de la famille. Dès l’introduction de la semaine dite anglaise, avec l'arrêt du travail le samedi à midi, les parents passaient une partie de leurs samedis après-midis à cultiver leurs légumes au jardin.

 

 

 

15  La Bise-Noire 43A, La Ferrière

Cette ferme à pignon frontal semble des plus classiques bâtisses que l'on trouve sur les crêtes jurassiennes et pourtant elle contenait un véritable trésor : un papier peint de 15 mètres linéaires représentant huit scènes des Métamorphoses, long poème latin de l'auteur Ovide. Réalisé à Paris à la fin du 18e siècle, sur commande d'un marchand de vin du nom de Charles-François Robert et de son épouse à l’occasion de leur mariage, il a ensuite été transporté via Besançon jusque dans la lointaine Helvétie. Après avoir passé 150 ans à la Bise Noire, le papier peint a ensuite été déposé dans les années 1950 au château de Valangin pour être ensuite récemment restauré et exposé au Musée National Suisse de Prangins sous le titre d'exposition de Ovide dans le Jura.

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crédits photographiques : F. Vermot

textes : Raphaël Chatelet

​© rchatelet

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